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IDENTIFIER L'ESPACE ARCHITECTURAL 4
CONCLUSION
Dans l'architecture rationaliste centrée sur l'espace, le lieu n’est pas simplement abandonné. Il a été transformé en enveloppe transparente par la profanisation. C’est-à-dire, le lieu était piégé sous la forme de la rationalité architecturale. Le génie du lieu, genius loci, est devenu une rétine transparente de la rationalité architecturale. Cet essai a tenté de trouver l'identité de l'espace architectural. On l’a fait formellement. Tout d'abord, cet essai supposait que le Rationnel en architecture rationaliste était une théophanie architecturale de la Raison moderne qui a pris la place de Dieu. Ensuite, on a comparé le Temple et le Musée sur la base des concepts de profanation et profanisation. Puis, en analysant la forme topologique de l’exposition du Musée pour l’objet exposé, on a confirmé que l'architecture rationaliste est une religion qui vénère le Rationnel. Par la profanisation de cette religion architecturale, le lieu est devenu l'enveloppe transparente et l'offrande totémique est devenue l'espace architectural.
Nous avons maintenant un nouveau cadre de perception de l'architecture rationaliste. Selon un point de vue sociologique, particulièrement de Durkheim, les institutions sociales ne trouvent pas leur origine dans une idéologie conceptuelle, mais dans une société vivante de la communauté de personnes. Par exemple, le concept ou le système de Loi est appliqué par des juristes, des juges, des procureurs et des avocats. Réciproquement, ils se voient garantir leur position et leur rôle dans la société par la Loi. C'est comme la relation entre le clan et le totem: le clan obtient le pouvoir divin du totem pour faire prospérer leur clan; le totem renforce encore sa puissance en étant adoré par le clan. D’ailleurs, le point de vue anthropologique considère également que les institutions sociales sont une représentation extensive de l’être humain comme membre de communauté. Françoise Héritier, dans « Le corps dans le corset du sens », voit que les institutions sociales s'incarnent à travers une extension conceptuelle des corps et affect humains. Lorsque les humains nouent des relations sociales, en particulier des parentés basées sur des relations sexuelles, le corps recherche un sang différent pour les rapports sexuels afin d'éviter des risques génétiques; au contraire, l’affect recherche un sang familier pour sa stabilité émotionnelle. Les humains ont une nature de s’équilibrer entre les deux en gardant la valence sexuelle. Héritier a révélé l'extension sociale de l’être humain avec cette nature dans la parenté de la tribu de Samo. Sous ces angles sociologique et anthropologique, on peut dire que l’institution sociale est la réalisation de l'existence humaine dans une autre dimension.
L'architecture est aussi une institution sociale. L'architecture est une extension conceptuelle de l’être humain. La difficulté en architecture est que les bâtisseurs, architectes pour l’aujourd'hui, ne peuvent pas représenter directement l'architecture en tant qu’institution sociale. À la différence des sacrificateurs totémiques entre le totem et le clan ou des juristes entre la loi et la communauté, en architecture, c'est le bâtiment qui se situe entre l'architecture et la société. Ici, nous faisons face aux défis de Poesis. Pour surmonter cette difficulté et procéder à l'interprétation et à la création en même temps, il faut trouver un détour. C’est la personnification du bâtiment. Tout d’abord, il est nécessaire de clarifier la différence entre l’anthropomorphisme et la personnification. L’anthropomorphisme humanise les institutions en tant qu’idéal pour les comprendre et les utiliser. Dans l'architecture fonctionnelle-rationaliste, par exemple, la rationalité fonctionnelle est un idéal architectural. Afin de réaliser architecturalement cet idéal, les architectes modernistes ont réduit les diverses activités corporelles des humaines en fonctions : c’est un anthropomorphisme architectural. Cependant, la personnification est une humanisation d'une forme, d'un style ou d'une entité en architecture. Grâce à la personnification, l'architecture en tant qu'être humain peut avoir des relations avec d'autres entités architecturale et urbaine ainsi que des entités conceptuelle et institutionnelle par son corps affectif. Par cette mise en relation, on peut avoir un nouveau cadre d'interprétation de l'architecture en tant qu'institution sociale.
Cet essai pose les questions suivantes pour de prochaines études. Si nous revoyons, au point de vue de personnification, l'architecture rationaliste comme totémisme, nous pouvons voir facilement que celui qui reçoit le rite totémique est le Rationnel architectural, théophanie architecturale du Père ancestral. Si tel est le cas, nous pouvons voir aussi que le sujet de ce rite est « Architecture rationaliste » en tant que fils. Alors, à la lumière de la relation entre le « Père - Raison - Rationnel architectural » et l’architecture rationaliste, on peut également interpréter la relation entre la « Mère - Nature - Non-rationnel architectural » et l’architecture rationaliste. De cette manière, en positionnant l’architecture personnifiée entre deux pôles puissants, civilisation et nature, ou Raison et Nature dans le contexte moderne, nous pourrons procréer un savoir situé dans l’architecture. Par exemple, nous pouvons poser une question critique sur les tentatives des architectes rationalistes d'objectiver la nature : « Pourquoi et comment l'architecture moderniste a-t-elle coopté et occupé la nature? » À cela, nous pouvons donner une réponse, en nous appuyant sur l'interprétation de Jean-Joseph Goux sur le fillarcat en relation de Mère-Fils dans le mythe d'Œdipe, car l'architecture rationaliste personnifiée a son identité filiale. Ensuite, nous pouvons continuer ce récit en posant des questions : « Qu'est-ce que l'architecture en tant que fille? » ; « Quelles relations peut-elle avoir avec la Raison et avec la Nature? » Probablement, l’architecture-fille est l’architecture dite non-rationnelle comme organisme, naturalisme, expressionnisme en architecture. On peut supposer également que ces architectures-filles étaient une tentative de « Moderniser l'architecture », mais elles ont été marginalisées dans les discours architecturaux par le slogan rationaliste : « Faire de l'architecture moderne ».
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