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IDENTIFIER L'ESPACE ARCHITECTURAL 1
INTRODUCTION
Perte du lieu
Depuis les temps modernes, l`architecture a perdu le lieu. Cette perte a été liée à une déchéance du sacré. Le lieu dans les discours architecturaux a disparu alors que le monde a perdu son sens du sacré lors du modernisme. La perte du lieu, dans l’édification architecturale, est causée par une domination du fonctionnalisme suivi du rationalisme. Ce sont les modalités idéologiques d’une émergence architecturale du modernisme. Le fonctionnalisme a substitué les activités humaines à une fonction rationalisée et le rationalisme est devenu responsable de la production d’un espace qui rend possible le fonctionnement de cette fonction. Le rationalisme fonctionnel a cherché à réaliser des espaces fonctionnels dans l'architecture afin de garantir la modernité architecturale. Pour ce projet, les architectes modernistes ont rejeté les éléments architecturaux qui n'étaient pas rationnels à leurs yeux. Par exemple, en déclarant que « l’ornement est un crime », Adolf Loos, architecte viennois, a établi une éthique moderniste de l'architecture fonctionnelle (1908/1920). Par ailleurs, en définissant qu’« une maison est une machine à habiter » (1925, p. 219), Le Corbusier a tenté d'établir rationnellement une modernité architecturale qui est libre de la lieuìté, Placeness.
Architecture rationaliste et lieu
L’architecture rationaliste a redouté le lieu à cause de sa polyvalence. Selon Heidegger, le lieu dont un attribut essentiel est le divin rend possible l’habitat humain (Han, 2012, p. 63). À cause de cette polyvalence, humaine et divine, le lieu n’était pas compatible avec la fonctionnalité en architecture. Les actes religieux faits dans des lieux sacrés ne pouvaient être traduits en fonctions. Tout comme les gens modernes qui ont échappé au royaume obscur de Dieu et sont allés dans l’état des lumières de la Raison, l'architecture fonctionnaliste-rationaliste a préféré la transparence radieuse (Rowe et Slutzky. p. 16). Avec le lieu, elle ne pouvait pas produire ce qui est transparent, par exemple, l’espace, car le lieu est empreint d’une opacité non-rationnelle comme les dieux, les âmes, les génies, etc. Dans le lieu, on trouve des mythes et des croyances qui ne peuvent être connus par une approche générale des humains. Pour leur idéal architectural, les rationalistes rêvaient d’un territoire homogène sans lieux disparates de la réminiscence divine et de la mémoire humaine. Ils ont activement détourné, rejeté, expulsé ou éradiqué les lieux dans le discours architectural. Ils se sont débarrassé des lieux polyvalents et hétérogènes moyennant la fonctionnalité ou ils les ont dissimulés si le dégagement n’était pas possible. Les places des lieux ont été vidées. L'architecture rationaliste a comblé ces vides avec ses espaces transparents.
Espace architectural
Cet essai veut identifier l'espace architectural qui est le produit du rationalisme-fonctionnalisme en architecture. À l'origine, l'espace n'était pas un thème de l’architecture, mais un sujet métaphysique. L’usage originel du terme technique de l’« espace » se trouve dans l’esthétique moderne. Dans son livre L'essence de la création architecturale, August Schmarsow, historien de l’art, a identifié l’architecture en tant que créatrice de l’espace. Puis des historiens de l'art en Allemagne tels qu'Adolf von Hildebrand, Gofried Semper et Alois Riegl ont décrit l'architecture en se référant au concept de l'espace. En conséquence, l'architecture est devenue l'art de l'espace étant approuvé métaphysiquement. Les théories d’architecture du début de 20ème siècle ont été basées sur le concept de l'espace. Dans le mouvement De Stijl ou Bauhaus, les théories modernistes en architecture ont développé une logique productive d’un espace abstrait pour l'architecture rationaliste. Alors, les théories modernistes dans l'histoire de l'architecture ont revu ce concept de l’espace, les bâtiments existants qui étaient construits sans notion de l’espace architectural. Ces rationalistes croyaient que, par le moyen de l’espace, on peut concrétiser architecturalement l’esprit moderne, mais ce n’était qu’un songe creux. Dès l’apparition du postmodernisme, l’architecture moderne a commencé à décliner à cause de vives critiques : « L’architecture rationaliste n’est pas rationnelle et l’architecture fonctionnaliste n’est pas fonctionnelle. ». Par exemple, l’architecture internationale basée sur l’universalité a été critiquée par l’architecture du régionalisme; l’architecture puriste basée sur la rationalité par l’architecture hybride; l'architecture dogmatique basée sur le patriarcat par l’architecture du divertissement. Malheureusement, malgré son criticisme, l'architecture postmoderne n’a pas accusé l'espace architectural. L’espace restait toujours comme un élément essentiel de l’architecture.
Problématique
Les effets pernicieux causés par la prédilection pour l'espace deviennent évidents lorsqu’il y a une liaison entre l'architecture et d’autres théories comme la sociologie, la politique, la philosophie, l’étude féministe, etc. Souvent, on rencontre un problème quand les autres disciplines se mettent une relation avec l'architecture. Par exemple, lorsque les théories de la sexualité ou du genre interviennent dans les théories architecturales, la plupart d’entre elles déploient leurs idées en se mettant en rapport qu’avec l'espace architectural. Par exemple, dans This Space Has (A) Sex de Betsky Aaron, Gender Space Architecture de Jane Borden (ed), Sexuality and Space de Beatriz Colomina et Space, time and perversion d'Elizabethe Grosz, les théoriciens ancrent leurs idées dans le concept de l'espace architectural, car ils ne sont pas suffisamment conscients de la prédilection pour l’espace architectural. Ce problème n’a pas été étudié dans les théories d’architecture. Avant tout, ici, le problème majeur est l’absence de la corporalité. Au moment où le concept de l’espace a été introduit dans l’architecture, c’était une notion métaphysique. Malgré cette caractéristique abstraite, ce concept était passionnément attirant pour les architectes modernistes munis d’un nouvel esprit moderne. Alors, on peut deviner la raison pour laquelle le corps ne fut pas apprécié en architecture et soit devenu un simple matériel de mesure pour la fonction, comme le Modulor de Le Corbusier. En effet, les théories de la sexualité ou du genre rencontrent une difficulté d’approfondissement de leurs idées dans l’architecture, car l’espace est incompatible avec le corps et ses désirs.
Cet essai, étude préliminaire sur le thème de « Perte de lieu », a pour objectif d’identifier l'espace architectural. Basé sur une pensée que le lieu, où les humains et les dieux coexistaient, (Han, 2012, p. 63) est devenu un espace réservé exclusivement aux humains, on met en évidence la perte du sacré en abordant des concepts de profanation et de profanisation dans le chapitre 1. On comparera, dans le chapitre suivant, le temple et le musée pour définir le lieu profané et le lieu profanisé. Dans le chapitre 3, on analysera, basé sur l'ambiguïté ambivalente de la profanation, le lieu profané par rapport au rite totémique. Dans le dernier chapitre, en s’appuyant sur le concept de la profanisation rationaliste, on identifiera l'espace architectural.
PROFANATION ET PROFANISATION
Sacré et transgression
Chaque culture a son propre lieu sacré. C’est une aire isolée de la vie quotidienne. Elle peut être une zone particulière ou un sanctuaire dans un temple. On pense que le sacré réside dans le lieu sacré où la relique est enchâssée. Selon Agamben, l’isolement est une caractéristique essentielle du sacré: « Les choses qui, d’une manière ou d’une autre, appartiennent aux dieux étaient sacrées ou religieuses. Comme telles, elles se voyaient soustraites au libre usage ». Le sacré et son lieu sont réservés exclusivement « aux dieux du ciel ou à ceux des enfers » (Agamben. paragr. 1). Dans presque toutes les cultures, l'accès au lieu sacré est interdit. Dans son livre la forme élémentaire de la vie religieuse - le système totémique en Australie, Émile Durkheim définit le principe de la force sacrée comme « mana » et sa représentation comme « totem » (Livre II, p. 187). Un objet sur lequel le totem est dessiné ou gravé sous la forme symbolique est une relique totémique. De même, un lieu où cette relique est enchâssée est le lieu sacré. Dans la plupart des religions, y compris le totémisme, il est interdit d'entrer dans leurs lieux sacrés ou de toucher leurs objets sacrés. Passer à l’aire du sacré est tabou. Afin de rendre possible une traversée, l’homme doit passer par un pénible processus spécial. Par exemple, l’initiation, la résurrection ou la transformation holistique. Si on entre en contact avec le sacré sans passer par un processus transgressif, on fait face à la mort ainsi le sacré sera dégénéré. Selon la modalité de la violation et des conséquences de détérioration, on classifie la dégénérescence en sacrilège, sécularisation, profanation et profanisation. Pour cet essai, on ne traite que de la profanation et de la profanisation.
Mécanisme de la profanation
Par la profanation, le sacré isolé est rendu généralement disponible (Agamben. paragr. 1). Il est tout de même nécessaire de noter que l’usage général d'Agamben a un sens de devoir politique. La profanation émane de la volonté de « Falloir utiliser le sacré de nouvelle manière ». Le sacré est distinct du monde mondain. Lorsque cette distinction est socialisée par un rite exécuté par une communauté de croyance, c’est la religion faite de croyance, de rite et de communauté. Selon Durkheim, le rite est exécuté dans le but de réaliser l’état essentiel de séparation entre le sacré et le profane (p. 292). Par contre, Agamben insiste sur un nouvel usage différent de l'usage rituel. Ici, le nouvel usage c’est l’utilisation générale du sacré à l’aide de la capacité profanatrice. Dans son « éloge de profanation », pour expliquer le mécanisme de profanation, il donne un exemple de l’activité langagière pour la communication. Malheureusement, Agamben ne révèle pas spécifiquement en quoi consiste un nouvel usage profané de cette activité. Il insiste simplement pour trouver une nouvelle activité langagière pour la communication.
Cependant, par cet exemple, Agamben montre clairement comment la profanation a échoué. Les hommes utilisent la langue pour communiquer. L'activité langagière est un moyen de communication. Agamben soutient que cette activité langagière doit être profanée parce que le lien original de « communication-activité langagière » a été rompu. À l’origine, il y a le couple « communication-activité langagière », c’est « l’activité langagière qui a été séparée du couple et est devenue un moyen conceptuellement pur. « Si ce moyen pur est profané, il pourra devenir un nouvel usage. Par contre, « l’activité langagière » ne peut être profanée à cause du système de l’idéologie dominante comme le nationalisme, le capitalisme, le patriarcat, etc. Agamben nomme cette attaque idéologique « dispositif de capture ». Il s’agit d’« un dispositif pour capturer les moyens purs » (Agamben. paragr. 20) pour rendre une profanation impossible. Pour cet exemple, le dispositif est la propagande. Elle capture le moyen pur et le dépose dans une sphère séparée qui s’appelle le spectacle pour perturber la communication. La sphère séparée est une zone où le moyen pur est interverti en ce qui convient aux goûts idéologiques. Enfin, l'activité langagière devient le spectacle. Les hommes exposés au langage falsifié du spectacle perdent leur capacité de communiquer. Par exemple, les Allemands sous le régime nazi ont été endoctrinés unilatéralement par la propagande politique et ils ont pensé en langue nazie. Pareillement, les hommes de l’époque du capitalisme tardif pensent qu’ils communiquent avec les autres via les médias sociaux, mais ce n’est qu’une illusion. Ils s’exposent à eux-mêmes en tant que spectacle sur les médias sociaux. On a perdu, par profanisation, le but de l'activité verbale de langue
Éloge de la profanation
Au lieu de rétablir la relation originelle entre le but et le moyen pur capturé, Agamben cherche un nouvel usage différent de l’usage traditionnel à l’aide de la profanation. Il trouve un indice d’un nouvel usage dans le jeu. Le jeu est originaire de la sphère du sacré. Selon Émile Benveniste, le sacré a été socialisé sous deux formes. L'un est mythe qui raconte une histoire, et l'autre est rite qui représente l'histoire en la mettant en scène (Agamben. paragr. 6). Le mythe et les rites sont utilisés pour contenir, préserver et reproduire le sacré. Si on revoit l’exemple de l’activité langagière nazie, on peut comprendre comment le mythe et le rite ont été capturés et disposés, ainsi qu’utilisés de manière inappropriée: le mythe et le rite ont été emprisonnés dans une zone spéciale de la « Nation » par le dispositif de capture national-socialiste; avec le slogan mythique « La race aryenne est suprême! », la nation aryenne était considérée comme sacrée; avec la parade nazie, le rite politique qui célèbre le sacré de son propre peuple, les Allemands ont expérimenté religieusement le caractère sacré du nazisme.
Agamben rejette ce type d’usage inapproprié du mythe et du rite. Il explore de nouvelles possibilités à travers le jeu en tant qu'institution profanatrice. Le jeu rompt les relations originales entre le sacré et le mythe et entre le sacré et le rite. Si une activité dépouille le mythe et préserve le rite, elle devient un jeu comme ludus. En revanche, si une activité efface le rite et ne préserve que le mythe, elle devient un jeu de mots, jocus (Agamben. paragr. 6). Le premier libère les hommes de l'obligation de respecter les rites religieux. Par ce dernier, les hommes sont libérés des chantages mythologiques tels que pouvoir être puni pour un blasphème. Ce qui est important c’est que la condition de cette liberté ne soit pas une élimination du sacré. Que ce soit ludus ou Jocus, le jeu garde la relation avec le sacré. Le jeu est un bon exemple concret de la profanation liée au sacré. Dans le jeu, non seulement le caractère sacré religieux, mais aussi le caractère sacré politique, comme l'État, la guerre et la loi, deviennent des jouets pour enfants. Les enfants rejettent ces sacrés idéologisés et les transforment en éléments de jeu. Agamben décrit le jeu comme profanateur d’« une nouvelle dimension de l’usage que les philosophes et les enfants livrent à l’humanité » (paragr. 7).
Profanisation
Selon Tillich, la profanisation est « l'action par laquelle le sacré est tout simplement évacué, vidé de son contenu, de sa valeur propre » (p. 24). Cela coïncide avec la définition de la profanisation de Han Byung-Chul: « la profanisation s’accomplit sous forme d’une déritualisation et d’une désacralisation » (p. 65). Malgré le fait qu’il n’y a pas de mention sur la profanisation dans « Éloge de la profanation » par Agamben, on remarque que le processus par lequel le moyen pur est capturé et disposé dans la zone spéciale, et est enfin devenue un but par l’interversion, n’est pas différent que la profanisation de Tillich ou de Han. Agamben montre spécifiquement ce processus de profanisation par l’exemple d’une capture capitaliste. L'ordre franciscain au 13ème siècle, à la recherche de la pauvreté la plus haute, cherchait à rejeter tous les types de propriété, y compris les vêtements et la nourriture, dans la vie quotidienne. Pour cet objectif, ils ont inventé une notion d'« usage de fait, usus facti », pour nier la propriété. C'était l’idée d'« utiliser, mais de ne pas posséder ». À l'opposé, le Pape Jean XXIII a promulgué sa bulle Ad conitorem canonum pour refuser la possibilité de l’usage des objets de consommation sans possession (Agamben. paragr. 21). Sur cette anecdote, Agamben dit que le Pape Jean XXIII a involontairement fourni un paradigme de « l’impossibilité de l’usage » qui sera complété dans la société de consommation des siècles plus tard. L'ordre franciscain a cherché à séparer la propriété du couple « objet-propriété ». Au lieu de posséder l'objet, ils voulaient l'utiliser. À vrai dire, ils ont essayé de former un « objet-usage » en abolissant l’objet-propriété, mais cet essai de profanation a été bloqué par l’ordre canonique.
La tentative profanatrice est encore frustrante aujourd'hui. La propriété séparée de l'objet-propriété est capturée par un dispositif capitaliste. La propriété, comme moyen capturé, est placée dans la sphère spéciale: la « consommation ». Enfin, la propriété en tant que moyen est intervertie et devient un but. Avec ce renversement de l’ordre, la possession des objets devient un droit légitime et aussi un devoir dans le capitalisme, c’est pour cela que tout est interprété, occupé et planifié à travers le but de la possession. Ce « tout » est un « improfanable » qui est formé par la profanisation. Le désir capitaliste de tout posséder s'accomplit au nom de la consommation. À partir de cet exemple, on apprend que le processus de « capturer-disposer-intervertir » n'est pas différent de la profanisation.