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Ainsi bâtissait l’architecte-fantôme : La villa de l’oiseau noir

  • 작성자 사진: Kimetarx
    Kimetarx
  • 3월 31일
  • 33분 분량

최종 수정일: 4월 2일


Kimetarx, W. Ch. (2023). Ainsi bâtissait l’architecte-fantôme : La villa de l’oiseau noir.


Récit en texte rouge

Note fictive en texte noir


1.

L'architecte-fantôme dérive sur la mer sombre. Après neuf jours, dans la nuit obscure, il aperçoit une lumière lointaine. De toutes ses forces, il dirige sa nef vers cette lueur. Après un long moment, la nef du fantôme-architecte arrive sur une petite île. Épuisé, le fantôme-architecte descend du bateau. L'île est recouverte de boue humide et le sol bouge légèrement.


1. LE DOS DE LA CHOSE

 

L’île appelée le dos de la chose. Cette île vient de l'histoire de Sinbad le marin. Le bateau de Sinbad fait naufrage. Il atterrit sur une petite île qui ressemble à un paradis : il y fait beau et le gibier y est abondant. Sinbad et ses camarades chassent et font un feu pour le faire rôtir. Soudain, l'île bouge. C'est en fait un gros poisson. Ils sont sur le dos du grand poisson. Le dos du poisson est resté longtemps au-dessus de la mer et y a accumulé du sol. Le dos du poisson est devenu comme une île.

 

Ernst Bloch cite ce conte pour critiquer la façon dont nous traitons les choses comme des outils techniques. « On ne connaît que la face et le dessus de leur serviabilité technique » (Bloch, 1968. p. 183). Lorsqu’on établit une relation avec une chose, on a souvent tendance à ne considérer qu'un seul aspect de celle-ci. Cependant, en faisant cela, on ne peut pas rencontrer la chose comme un objet en soi. La véritable rencontre avec la chose se fait face à face. La chose qui me fait ainsi face s'appelle l'objet. Grâce à ce vis-à-vis, l'objet peut devenir « toi ». La chose en tant que « toi » devient un corps-opposé dans le sens de la « contrepartie », Gegenkörper. Cette relation de « Je et Tu », le même et l'autre, est rendue possible sur la base de la réciprocité, Gegenseitigkeit (Han, 2022). Aujourd'hui, on ne fait pas souvent face aux choses et même aux personnes, c’est-à-dire, on les traite comme des outils. Dans la relation où la réciprocité a disparu, l'autre est absent. L'autre en tant que le corps-opposé n’est pas présent.

 

Ce que l'architecte-fantôme a rencontré, c'est un autre qui ne dévoile pas tout son corps. L'architecte-fantôme n'est pas encore capable d'entrer en relation avec cet autre, parce qu'il n’a pas encore appréhendé l’autre en faisant face à l’autre. Une rencontre avec l'autre auquel l’on ne peut pas faire face, ne peut pas se faire par la volonté, parce que la culture d’aujourd’hui ne nous permet pas de rencontrer facilement l’autre. Une rencontre avec l’autre ne sera donc possible que par le hasard. Ce sera rendu possible par une lumière qui m’appelle, pendant une dérive. Elle est un appel. C’est une séduction irrésistible pour promouvoir un déplacement du moi vers l’autre. Grâce à la séduction de la lumière, l'architecte-fantôme atteint cette île, le dos de l'autre. Pour une rencontre avec l’autre qui se cache, il est nécessaire de le fantasmer allégoriquement.


2.

Il y a une grande tour en pierres brutes. L’architecte-fantôme tourne autour de la tour en restant à distance. Le sol tremblant rend la marche difficile. La tour est construite en pierres rugueuses et il n'y a pas de porte permettant d'y entrer. Cependant, il y a une pente permettant d'accéder au sommet de la tour.


2. LA TOUR HÉGÉLIENNE

 

Selon Hegel, l'architecture est à l'origine de l'art (Hollier, 1971, p. 13). Il présente ensuite une problématique : « en recherchant les premiers commencements de l’architecture, nous trouvons tout d’abord la cabane, habitation de l’homme, le temple comme enceinte abritant le dieu et la communauté de ses fidèles » (Hegel, s. d. p. 35). Dans ces deux types d'architecture, Hegel trouve la raison d'être fondamentale de l'architecture : « habiter ». La cabane est un moyen primitif d'habitation pour les humains et le temple est un moyen sacré pour permettre aux dieux d’habiter un lieu  : « La cabane et la maison du dieu supposent des habitants, hommes, image de dieux, etc., pour lesquels ces constructions ont été édifiées » (Hegel, s. d. p. 36). Pour Hegel, l'architecture est un moyen d'atteindre une fin : « habiter ». Il considère que l'architecture en tant que moyen n'est pas esthétique, car la finalité de l'habitation se situe en dehors de l'art.

 

Cette finalité extérieure se réalise dans l'intérieur des maisons et des temples, où séjournent les habitants. C'est « dans ce creux, dans ce vide intérieur […] pénètre donc une extériorité qui leur interdit l’accès à l’architecture » (Hollier, 1971, p. 21) esthétique. Hegel exclut donc les bâtiments avec des espaces intérieurs habitables de l'architecture en tant qu'origine de l'art. Il ne reconnaît même pas les pyramides, les habitations de ceux qui sont morts et sont devenus des dieux, comme un archétype architectural.

 

Hegel considère que l'architecture esthétique, ou l'architecture comme origine de l’art, se trouve dans la tour de Babel. Elle n'est pas un édifice pour « habiter » parce qu’il n’y a pas d’espace vide à l'intérieur : « Au milieu, raconte Hérodote qui avait vu cette œuvre colossale, se dressait une tour aux murs épais (non creuse, mais massive, un πὐργος στερὀς) » (Hollier, 1971. p. 27). Sans intérieur, la tour de Babel n'est pas une bâtisse destinée à la finalité extérieure d’« habiter ».

 

Les hommes adorent Dieu dans l'espace fini du temple. L'espace sacré permet d'« inscrire l'infini dans le fini » (Jaquet, 2015. Chapitre IV). En revanche, sur l'île qu'atteint l'architecte-fantôme, il y a une tour babélique. Cette tour n'a pas d'intérieur sacré, elle ne peut être qu'escaladée. En escaladant cette tour, les hommes peuvent atteindre les dieux et devenir comme eux. L'architecte-fantôme entreprend d'escalader cette tour sur le dos de la chose pour atteindre l'infini.


3.

L'architecte-fantôme découvre des images gravées ou peintes sur les murs de la pente menant au sommet. Il y en a neuf au total, comme si quelqu'un avait pris le temps de les dessiner en montant la pente. Après avoir fait le tour de la tour en un instant, l'architecte-fantôme arrive au pied de la pente. Sur le mur à côté de la pente, des mots sont gravés. : « Sur cette île, au dos de la Chose, il n'y a pas de place pour l’espace. » L'étrangeté émanant de cette tour donne la chair de poule à l’architecte-fantôme.

 

Au sommet de la tour brille une lumière lointaine. Vers cette lueur, l'architecte-fantôme s'élance sans peine. Mais dès les premiers pas sur la pente rocailleuse, ses pieds sont écorchés par les pierres malicieuses.




3. L’AUTRE ARCHITECTURAL

Au sens général de l'architecture, un bâtiment est une structure dont l'intérieur est habitable. Cela inclut la plupart des bâtisses telles que les temples, les cathédrales, les pyramides et les maisons. Selon Hegel, ces bâtisses sont inaccessibles à l'architecture esthétique comme origine de l'art. On qualifiera ces bâtisses habitables de « bâtiment architectural ». On peut dire que ce bâtiment architectural qui peut contenir le but extrinsèque de « habiter » est le « même » architectural sur la base de notre compréhension actuelle de l'architecture. Le bâtiment et l'architecture sont unifiés.

 

La tour de Babel, inhabitable, n'est pas un bâtiment selon notre conception actuelle de l'architecture. C'est un « autre » architectural qui est en dehors du concept architectural. Néanmoins, à la lumière du projet hégélien pour l’architecture esthétique, cette structure inhabitable est l’architecture originelle. On qualifiera cette bâtisse hégélienne comme « bâtiment architecturé ». Dans la conception architecturale habituelle, le bâtiment architecturé s'apparente davantage à une sculpture ; il est même inadéquat d'appeler cela un bâtiment. Pour considérer cette bâtisse hégélienne remplie comme un bâtiment, il faut l’architecturer. Ce bâtiment architecturé est un « autre » architectural parce qu'il est inaccessible au concept général d'architecture. Il sépare et éloigne le bâtiment de l'architecture.

 

L'architecte-fantôme tourne autour de la tour, Autre architectural, en le regardant de loin. Selon Roland Barthes (1957. p. 171), la vue est le plus magique de tous les sens. La vue nous permet de nous éloigner de l'autre. La distance par rapport à l’autre nous permet de reconnaître l'émerveillement de l'étrangeté. Cependant, l'accès à l'autre n'est pas aisé : soit je pénètre l'autre, soit l'autre me pénètre ; dans les deux cas, le contact avec l'autre est douloureux. Ce contact intrusif n'est pas la même chose qu'une rencontre paisible où l'on ouvre soi-même la porte du cœur et où l’autre peut entrer. C’est pourquoi les pieds de l’architecte-fantôme sont blessés par la rugosité de la tour.


4.

L'architecte-fantôme escalade la pente difficilement.

Le premier dessin parle :

« Non imitable. Pourquoi avez-vous vu une lumière faible? Pourquoi? »

Mais L'architecte-fantôme n'entend pas cette belle voix. Il continue à gravir la pente.

Le deuxième dessin parle :

« Créateur de vide, pourquoi êtes-vous monté sur le dos de cette île? »

Mais l'architecte-fantôme n'entend pas cette voix abondante. Il continue à gravir la pente.

Le troisième dessin parle :

« Mépris du corps. Pourquoi marchez-vous dans cette mollesse ? »

Mais l'architecte-fantôme n'entend pas cette voix dansante. Il continue à gravir la pente.

Le quatrième dessin parle :

« Œil transparent, pourquoi tournez-vous autour de cette tour ? »

Mais l'architecte-fantôme n'entend pas cette voix joyeuse. Il continue à gravir la pente.

Le cinquième dessin parle :

« Penseur, pourquoi lisez-vous tous ces mots ? »

Mais l'architecte-fantôme n'entend pas ces voix multiples. Il continue à gravir la pente.

Le sixième dessin parle :

« Chercheur de nouveauté. Pourquoi contemplez-vous ces dessins? »

Mais l'architecte-fantôme n'entend pas cette voix célèbre. Il continue à gravir la pente.

Le septième dessin parle :

« Tekton. Pourquoi désirez-vous la lueur? »

Mais l'architecte-fantôme n'entend pas cette voix érotique. Il continue à gravir la pente.

Le huitième dessin parle :

« Emprisonnant l'infini. Pourquoi commencez-vous à monter cette tour? »

Mais l'architecte-fantôme n'entend pas cette voix céleste. Il continue à gravir la pente.

Le neuvième dessin parle :

« Évitant le destin. Pourquoi suivez-vous cette lumière faible? »

Mais l'architecte-fantôme n'entend pas cette voix tragique. Il continue à gravir la pente.


4. LES MUSES

 

Selon l'étymologie grecque, « archi-tecture » est un art, tekne, τέχνη, d’un maître assembleur, tekton, τέκτων, qui connaît les principes fondamentaux, arkhè, ἀρχή. Dans son livre La République, Platon distingue la peinture, la sculpture et la poésie, qui sont des tekne mimetike, ou l’art de l'imitation, de l’art architectonique, arkhitektunice tekhne. Depuis l'Antiquité, l'architecture occupe une position différente de celle des arts. L'art de l'imitation représente des choses. En revanche, l’architecture ne fait pas la représentation. L'architecture met en marche sur l’arkhè, ἀρχή.  C'est le bâtiment architectural qui est « construit par l’architecture constituante les principes fondamentaux pour réaliser quelque chose » (Wurman (éd.), 1986).

 

La tour, Autre architectural, est imprégnée des neuf muses. Ces déesses de l'art n'habitent pas dans cette tour, mais elles sont inscrites sur la surface de la tour, dans la chair de l’autre. Elles ne comprennent pas pourquoi l'architecte-fantôme escalade cette tour, c'est-à-dire qu'elles ne savent pas pourquoi l’architecte pour l’architecture escalade ce bâtiment architecturé

 

Les première, cinquièmes et septièmes muses demandent à l'architecte-fantôme pourquoi il ne fait pas d'architecture représentative. Les deuxième et troisième muses demandent pourquoi l'architecte-fantôme ne crée pas un espace pour les hommes à l’intérieur de l’architecture. La huitième muse demande pourquoi l'architecte-fantôme ne crée pas d'espaces sacrés. Les quatrième et sixième muses demandent pourquoi l'architecte-fantôme ne suit pas la mission architecturale. La dernière muse se demande pourquoi l'architecte-fantôme refuse le destin architectural. Par leurs questions, les muses veulent que l'architecte-fantôme affronte l'autre avant d'atteindre le sommet de la tour. Mais l'architecte-fantôme n'entend pas les voix artistiques qu'exige la confrontation de l'autre architectural, la tour.


5.

Enfin, l'architecte-fantôme est arrivé sur le toit de la tour qui atteint une hauteur d'environ neuf étages. Sur le toit étroit sans garde-corps, l'architecte-fantôme ressent le vertige de la peur. En perçant l'obscurité, la lumière faible s'approche devant ses yeux. C'est une image. Une image qui brille d'elle-même. « C’est une image radieuse ». Dans l’image, sous le ciel clair, il y a une petite maison sur la terre recouverte d'herbe.  L'architecte-fantôme voit des textes noirs semi-transparents qui se déplacent rapidement en changeant de position et de direction dans l'image, comme si l'image pousse l'architecte-fantôme à les lire. Après plusieurs tentatives, il réussit à lire les textes qui défilent rapidement. « Nous sommes au-dessus de quelque chose dans l'image. »

 

L'architecte-fantôme touche l'image sans hésitation. La douceur de l'image est perceptible au bout des doigts de l’architecte-fantôme. Une douceur si parfaite, et sans aspérité, que le texte s'infiltre sans résistance dans l'esprit de l’architecte-fantôme. Le texte semble avoir été la pensée de l’architecte-fantôme depuis toujours. L’architecte-fantôme réfléchit. "Nous sommes au-dessus de quelque chose dans l'image. Je le sais."

 

L'architecte-fantôme touche son image sans hésitation. Les doigts de l'architecte-fantôme sentent une surface lisse. À travers une telle douceur lisse et sans défaut, le texte s'infiltre sans obstacle dans l'esprit de l'architecte-fantôme. Le texte semble être la pensée de l'architecte-fantôme dès le début. Il pense, « Nous sommes au-dessus de quelque chose dans l'image. Je le sais ». À ce moment-là, le visage de l'architecte-fantôme est aspiré dans l’image. La surface antérieure de son visage, la face est légèrement plongée dans l'image. Sa face commence à briller avec l'éclat rayonnant de l'image. L'architecte-fantôme ferme les yeux. Il se glisse lentement dans l'image lisse et radieuse.


5. L’ÉCRAN TACTILE

 

 L'écran tactile brille et émet des images et du texte. Il nous incite à toucher le clavier dans l'écran pour lire et répondre rapidement aux textes. Il requiert également d’écarter deux doigts pour zoomer lorsqu'une image nous intrigue. Heidegger affirme que l'essence de la technologie est l’ar-raisonnement, Ge-stell (Heidegger, 1958. p.26). Par exemple, la technologie pousse l'homme à exploiter la nature pour tirer des ressources. La nature en tant que ressources demeure toujours « commis, Bestellen », en tant que « fonds, Bestand » (Heidegger, 1958. p.23). Heidegger affirme que la technologie, en particulier la technologie moderne, transforme également les êtres humains en outils disponibles. En interpellant de façon « pro-vocatrice, Herusforden », la technologie moderne ar-raisonne (Heidegger, 1958. p.26), les hommes et la nature.

 

En se déplaçant rapidement, les textes rapides arraisonnent les yeux de l'architecte-fantôme l’amenant à lire. Les textes disent : « Wir sind über etwas im Bilde » (Heidegger, 1986). Ce texte, qui signifie « nous savons quelque chose », se traduit littéralement par « nous sommes au-dessus de quelque chose dans l'image » ou « nous sommes, quant à quelque chose, dans l’image ». Le texte sur l’écran tactile consiste à capturer et à transmettre la voix intérieure - par exemple, les pensées et les sentiments - par écrit : c'est le devenir-texte du soi. Également, cet écran « devient le détenteur du monde en le produisant, herstellen, sous forme d’images. [C’est] le devenir-image. [Dans l’écran tactile], le monde est fixé, stellen » (Han, 2022. p. 32).

 

Le texte et les images incitent l'architecte-fantôme à toucher l'écran. Toucher implicite l'absence de distance : « Le toucher est, selon Roland Barthes, le plus démystificateur de tous les sens » (1957. p. 142). L'écran tactile, qui élimine le mystère, transforme le monde que l’on peut regarder avec une certaine distance, en une image disponible à toucher; il transforme la voix intérieure qui doit être entendue au fil du temps en un texte transmissible instantanément par le toucher.  En écran tactile, l'autre qui me fait face de loin et qui parle dans le temps n’est pas présent. Le monde et le soi ne sont présents qu’en tant qu’une conception, Bild.

 

L'écran tactile, par opposition à la rugosité de la tour babélique qui fait mal aux pieds de l’architecte-fantômes, est lisse. « Le lisse ne blesse pas » (Han, 2016, chapitre 1). Avec le lisse, on peut traiter le soi et le monde sans aucune résistance : « le désastre n’a pas sa place, tout comme la blessure, la fracture, la fêlure, ou même la suture » (Han, 2016, chapitre 1). Il n'y a pas de négativité douloureuse de l’autre dans le lisse. Le texte s'installe sans aucune résistance ainsi dans l'esprit de l'architecte-fantôme. Il s’infiltre également dans l'image sans négativité de l’autre.

 

L’architecte-fantôme plonge sa face dans l'image, comme il demande à l’application de reconnaissance faciale. La face est différente du visage, c’est une surface antérieure exposée du visage humain qui : « pour Emmanuel Levinas, représente un lieu insigne sur lequel fait irruption la transcendance de l’autre. La transparence est une contre-figure de la transcendance. La face est habitée par l’immanence du même. »  (Han, 2017, p.23) La face de l’architecte-fantôme est à l’antipode du dos de l’île. Si sa face transparente représente l’immanence du même, le dos de l’île suggère la négativité de l’autre obscur. Une fois échappé du dos de l’autre et placé sur l’écran tactile du même, l’architecte-fantôme succombe à une tentation. Pour se fondre parfaitement dans cette tentation, l’architecte-fantôme ferme les yeux. L’architecte-fantôme sursoit à son corps où il rencontre l’autre et entre dans le champ transparent de la conception.


6.

En ouvrant les yeux, l'architecte-fantôme ne se trouve plus sur le dos de l'île. Il est enveloppé d'un air transparent et pur. Devant lui se trouve un magnifique village, où des bâtiments blancs sont rassemblés et les routes sont bien entretenues. En regardant le village, l'architecte-fantôme pense : « C'est un village radieux ». Il se souvient d'un fermier qui lui a envoyé une lettre il y a longtemps et il se demande : « Ce fermier travaille-t-il enfin dans ce village radieux ? »

 


L'architecte-fantôme commence à marcher joyeusement en pensant à ce fermier. Il marche un peu plus vite et plus légèrement. Entre les bâtiments blancs du village, on voit cinq piliers blancs. Et entre eux, il y a un volume transparent. L'architecte-fantôme pense : « Enfin, le lisse radieux est devenu un bâtiment. Je vois une architecture de mes propres yeux ». L'architecte-fantôme accélère le pas.


6. LE VILLAGE RADIEUX ET LA PROMENADE ARCHITECTURALE

 

L'architecte fantôme arrive dans un village agricole. Le ciel bleu et le sol recouvert d'herbe forment une scène de village agréable. Il y a les routes bien entretenues et les bâtiments blancs propres. C’est le village radieux de Le Corbusier. Situé quelque part près de la ville radieuse, ce village est un établissement humain pour l’agriculture avec les machines à habiter (Le Corbusier, 1923/1977, p. 73). Selon Le Corbusier, le projet « Ferme radieuse, village radieux » a commencé par une lettre d'un agriculteur nommé Nodert Bezard : « Le Corbusier, ne restez pas qu’en ville! Voulez-vous un peu vous occuper de nous, regarder nos campagnes, nos fermes, nos champs, nos villages … » (Le Corbusier, 1933/1964, p. 321).

 

Il ne s'agit pas d'un village rural, mais d'une petite ville agricole. « La campagne est l’autre ville de demain » (Le Corbusier, 1933/1964. p.331). Les routes bien entretenues mènent à d'autres villages et villes. C'est un moyen de rédemption moderniste qui transforme la campagne en ville agricole. Également, la ferme de ce village n'est pas une maison champêtre enracinée dans la terre. « La ferme n'est pas une illusion architecturale. C'est quelque chose de semblable à un événement naturel, quelque chose qui est comme le visage humanisé de la terre » (Le Corbusier, 1933/1964. p. 322). Il s'agit d'une machine à habiter pour les travailleurs de l’agriculture moderne.

 

Laissant derrière lui ses rétrospectives, l’architecte-fantôme se dirige vers une maison blanche. (Cette promenade urbaine mène plus tard dans le bâtiment et devient une promenade architecturale). Ensuite, ce bâtiment blanc « se dévoile » peu à peu. C’est la villa Savoye, l'immeuble résidentiel moderniste emblématique de Le Corbusier.


7.

Soudain, un oiseau noir fend l'air en émettant un son strident et couvre rapidement le ciel. L'architecte-fantôme lève la tête et regarde l'oiseau noir. Quand son regard arrive à l'oiseau noir, il pense: « L’oiseau noir, c’est un esprit nouveau. Il bat des ailes avec force vers une nouvelle architecture ». Au moment où il prononce ces mots, l'oiseau noir se pose sur la masse blanche au-dessus du volume transparent. L'architecte-fantôme observe l'oiseau. Il tient deux cercles et trois lignes avec son bec.



7. L’OISEAU NOIR

 

L'oiseau noir est un corbeau, un messager envoyé par Le Corbusier, le maître de l'architecture moderne, dont le nom se prononce comme corbeau (Chroniques d’architecture, 2019). L'architecte-fantôme comprend rapidement le message du grand architecte : Esprit nouveau est le nom de la revue d'architecture de Le Corbusier et Vers une architecture est le titre de son livre. Dans ses nombreuses œuvres architecturales et ses écrits, il a recherché une architecture de transparence et de pureté. Les bâtiments aux murs blancs avec le verre expriment bien les caractéristiques principales de l'architecture rationaliste-fonctionnaliste. La villa Savoye de Le Corbusier en est un excellent exemple.

 

Le cri du corbeau et sa plongée rapide ne permettent pas à la Villa de se dévoiler peu à peu. À cause de ce l’ar-raisonnement, Ge-stell, l'architecte-fantôme ne peut se tenir à distance du bâtiment. L'attention provocatrice du corbeau arraisonne le regard de l’architecte-fantôme et expose immédiatement la façade de la villa Savoye. En atterrissant sur la villa blanche, le messager de l’esprit nouveau ordonne à l’architecte-fantôme de « faire l’architecture moderne ». Pour répondre à cet ordre digne, il nomme la villa de l’oiseau noir un espace sacré de l’esprit nouveau. C’est l’esprit nouveau qui habite cet espace. Et le « habiter » est rendu possible par les architectes modernistes qui honorent l’esprit nouveau.


8.

L’architecte-fantôme marche vers l’oiseau noir de l'esprit nouveau. Il rencontre un bâtiment blanc composé de cinq colonnes, d'un volume transparent à l'arrière et d'une masse blanche au-dessus. Les enveloppes, composées de lignes droites et courbes, démontrent la liberté du bâtiment. Ce que l'architecte-fantôme voit dans ses yeux est une image radieuse d’une architecture blanche et transparente. L'excellence que la modénature de ce bâtiment offre fait penser à l'architecte-fantôme: « Ceci est la villa du corbeau, un espace sacré de l'esprit nouveau radieux ». L’architecte-fantôme traverse les pilotis et entre dans le volume transparent sous la villa. Il y a une rampe à l'intérieur. Il marche respectueusement sur la rampe. Il atteint l'étage résidentiel supérieur. Il est émerveillé par la sensation d'ouverture à l'intérieur de la villa. Grâce à cette impression de liberté, il ressent une grande liberté architecturale


8. LA VILLA RADIEUSE

 

En 1927, Le Corbusier présente les cinq principes de la nouvelle architecture (Le Corbusier et Jeanneret, 1937. p. 128) :

 

1. les pilotis : le rez-de-chaussée est transformé en un espace dégagé destiné à la circulation, les locaux obscurs et humides sont supprimés, le jardin passe sous le bâtiment et sur le bâtiment ;

2. le toit-terrasse : ce qui signifie à la fois le renoncement au toit traditionnel en pente, le toit-terrasse rendu ainsi accessible et pouvant servir de solarium, de terrain de sport ou de piscine et le toit-jardin ;

3. le plan libre : la suppression des murs porteurs autorisée par les structures de type poteaux-dalles en acier ou en béton armé libère l'espace, dont le découpage est rendu indépendant de la structure ;

4. la fenêtre en bandeau : elle aussi, rendue possible par les structures poteaux-dalles supprimant la contrainte des linteaux ;

5. la façade libre : poteaux en retrait des façades, plancher en porte-à-faux, la façade devient une peau mince de murs légers et de baies placées indépendamment de la structure.


La route commence dans la ville radieuse, traverse le village radieux et se termine sous la villa radieuse.  Une promenade urbaine en automobile devient une promenade architecturale à l'intérieur de cette villa. On monte une rampe pour passer du rez-de-chaussée à l'étage résidentiel supérieur.  L’étage résidentiel est lumineux grâce aux fenêtres en bandeau et spacieux grâce au plan libre. Libérée des carcans de l’architecture prémoderne qui ancraient au sol, l'architecture moderne offre à l'architecte-fantôme une liberté radieuse.


9.

Les murs sont équipés de longues fenêtres horizontales, qui sont des parties transparentes de l'enveloppe architecturale. Avec l'aide de la lumière, la nature pénètre à travers ces fenêtres dans l'espace intérieur. L’architecte-fantôme ne peut pas s'empêcher de regarder cela. Il touche la nature projetée sur le verre lisse avec son index droit. Par son toucher, la nature devient une image lisse du monde architectural. L’architecte-fantôme passe près d'une demi-journée à jouer avec le monde manipulable avec ses doigts. Les globes oculaires de l'architecte-fantôme se fatiguent. Il s'allonge sur quelque chose qui n'est ni une chaise ni un lit. Ses yeux fatigués voient un mur blanc. L'architecte fantôme s'endort bientôt.


9. LA FENÊTRE EN BANDEAU : LE DEVENIR-IMAGE DU MONDE

 

La fenêtre en bandeau en verre transparent est étroitement liée à la transparence, une caractéristique importante de l'architecture moderne. L'utilisation de ces fenêtres est due au fait que les murs ne supportent plus la charge. Nous sommes capables d'installer de longues fenêtres sur le mur, qui est devenu une sorte d'enveloppe ou de revêtement. On peut également installer un mur-rideau en verre pour rendre les murs tout transparents. Le Corbusier voulait probablement rendre l’enveloppe complètement transparente : « Un édifice est comme une bulle de savon. Cette bulle est parfaite et harmonieuse si le souffle est bien réparti, bien réglé de l’intérieur. » (Le Corbusier, 1923/1995, p. 147)

 

Cette analogie entre les bulles de savon et l'architecture permet de mieux comprendre l’architecture moderne. Ses bâtiments sont recouverts de l’enveloppe qui délimite l’intérieur et l’extérieur. Ce qui se faisait auparavant par des murs lourds se fait aujourd'hui par une enveloppe légère, le revêtement architectural ou la membrane architecturale. Cette membrane est totalement ou partiellement transparente. Dans la villa Savoye, la partie transparente est réalisée par les fenêtres en bandeau. La fenêtre en bandeau est une représentation architecturale de la membrane transparente de la bulle de savon.

 

Le souffle est associé à l’esprit. Ce qu’on appelle l’esprit aujourd’hui a été appelé, par les philosophes classiques comme Descartes et Spinoza, l’âme. Étymologiquement, le mot d’âme vient d’anémos en grec et d’anima en latin, qui sont associés étroitement à la vitalité et au souffle (Godin, 2018, chapitre. Âme). Donc on peut lire le souffle comme l’esprit. À l'intérieur de l’enveloppe transparente se trouve un souffle finement réglé. Le souffle bien réparti et réglé dont parlait Le Corbusier est l'esprit rationnel. La rationalité est le fondement de la modernité. La concrétisation architecturale de cette modernité est portée par l’esprit nouveau. Par l’esprit nouveau, la vie rationnelle des gens modernes peut résider dans l'architecture moderne. Comme le souffle bien réparti et réglé remplit la bulle de savon, l’esprit nouveau habite une nouvelle architecture.

 

Le Corbusier veut que l'intérieur et l'extérieur de l’architecture communiquent entre eux : il veut que le contenu intérieur de l'architecture soit pleinement révélé à l'extérieur du bâtiment ; il veut que l'esprit nouveau qui habite à l'intérieur soit extériorisé et réalisé architecturalement : « l’extérieur est le résultat d’un intérieur » (Le Corbusier, 1923/1995. p. 143). Grâce à la membrane transparente, une réalisation architecturale de l’esprit moderniste est rendue possible. Cette transparence est réalisée architecturalement avec du verre. Le Corbusier veut projeter son esprit moderniste à l'extérieur de l'architecture moderne avec authenticité. Le Corbusier souhaite également que le monde extérieur entre dans son bâtiment. C’est aussi rendu possible grâce à la membrane transparente. Pour Le Corbusier, le monde n'est pas l’autre, dangereux ou étranger, pour l'architecture. Car son monde est entièrement idéalisé par l’urbanisation : le monde se compose de villes radieuses et de villages radieux. Il n'y a donc pas de résistance de l'altérité à l'influx de ce monde dans l'architecture. Le monde radieux idéalisé est devenu un avec l’architecture.

 

Néanmoins, le monde réel, en particulier la nature, ne fournit pas toujours à l'architecture l'environnement idéal vu dans une perspective urbaine. La méchanceté de la nature est une menace pour l’esprit nouveau de l’homme moderne qui veut profiter du monde extérieur depuis l'intérieur d'un bâtiment blanc transparent. Pour surmonter cette menace, les architectes modernes font entrer le monde, dans l'architecture, en tant que paysage. On retrouve ce paysage idéalisé dans plusieurs croquis de Le Corbusier (Casali, 2004, p.63). On y assiste à l’intégration de la ville-monde et le bâtiment dans le paysage. Ce qui rend cette intégration possible, c'est la fenêtre en bandeau. La fenêtre en bandeau fait entrer l'extérieur dans l'intérieur sous la forme d'un paysage. Le paysage fournit la ville-monde comme une image à l'intérieur. La nature de la ville-monde doit exister comme paysage conservant sa propre position-et-stabilité, Stand (Heidegger, 1958. p.23). La nature doit être disponible comme un paysage d’après l’interpellation pro-voquant de la modernité architecturale. La fenêtre en bandeau entreprend le devenir-paysage du monde.

 

La fenêtre en bandeau, vitrée et transparente, est un dispositif qui transforme le monde en paysage pour l’architecture. On voit des similitudes entre ce dispositif du devenir-paysage du monde apparu il y a cent ans et le téléphone intelligent d'aujourd'hui. Ce téléphone met en pratique le devenir-image du monde. Il transmet les informations du monde sous forme d’image. Le monde est objectivé sous forme d’image. Le téléphone intelligent « fixe le monde, c’est-à-dire qu’il en devient le détenteur en le produisant sous forme d’images » (Han, 2022, p.32). La technologie comme le téléphone intelligent fait du monde un fond disponible que l’on peut commander, et le force à fournir des images. La fenêtre en bandeau est un tel dispositif. Ce dispositif architectural objective le monde comme un paysage. Cette fenêtre fixe le monde, à vrai dire, elle en devient le conteneur en le produisant sous forme d’images. Le devenir-paysage du monde nous empêche de rencontrer le monde directement avec notre corps. Le monde en tant qu’image touche directement le globe oculaire de l’habitant, l’esprit nouveau, dans l’architecture moderne. La fenêtre en bandeau fait du monde un fond paysager disponible et le force à fournir des images de la nature.

 

L'architecte-fantôme touche la vitre de la fenêtre en bandeau, et elle devient un écran. Le verre transparent pour le paysage se transforme, comme une magie, en une membrane transparente pour l'image, tandis que l'architecte-fantôme sent l'image lisse projetée dans le globe oculaire du bout des doigts. Tout comme nous passons du temps à jouer avec nos téléphones intelligents au lit ou sur le canapé, l'architecte-fantôme passe également du temps dans l’intérieur confortable à regarder et à toucher des images du monde. Bientôt fatigué, l'architecte-fantôme s'allonge sur la chaise longue à réglage continu, conçue par Charlotte Perriand, collègue de Le Corbusier.


10.

L’architecte-fantôme ouvre les yeux dans l'obscurité où l'ombre glisse en un jeu lugubre. La villa est plongée dans le noir parce que les fenêtres transparentes laissent passer la fureur de la nuit. Dehors, la pluie et le vent rugissent, l’architecte-fantôme tend ses doigts sur le verre transparent, cherchant un moyen de fuir. Mais l'image lisse a disparu. La nature n'est plus une image docile, c'est vrai. Le vent souffle fort et est menaçant. L’architecte-fantôme a peur. Il peine à respirer, à vivre.

 

Soudain, le corbeau trempé crie et disparaît avec le vent dans l'obscurité. Puis des sons étranges se font entendre. Ce sont des voix commandantes qui ne peuvent se faire prendre. L'architecte-fantôme est irrésistiblement attiré par ces voix qu'il ne peut ignorer. Il se dirige vers le toit-terrasse contigu à l'espace intérieur. Là, il saisit le muret en béton et regarde en bas où les voix résonnent. Les quatre façades de la villa implorent d’une voix faible.


10. LA VOIX DE L’AUTRE

 

La nature n'est plus une sorte d’image du monde, le paysage. La nature dévoile son vrai visage. Elle n’est plus le paysage docile. Le monde n'est plus une image que l'on peut manipuler : ce n'est plus la ville radieuse dans une vue en perspective. Face à la nature cruelle et impitoyable, la rationalité bat de l’aile et s'évanouit. L'architecte-fantôme doit désormais affronter la nature avec tout son corps.

 

Une voix, qui commande, émerge. C’est la voix de l'autre. Si le téléphone intelligent nous permet de communiquer par l'image et le texte, la voix de l'autre nous commande. Walter Benjamin (1988, p. 41) considère la sonnerie du téléphone traditionnel dans la maison de son enfance comme la voix de l’autre :

 

[…] sa sonnerie ne faisait qu’amplifier les terreurs de l’appartement berlinois. […] pour mettre fin au tumulte, que j’arrachais les deux écouteurs qui pesaient comme des haltères et que j’enfonçais ma tête entre eux deux, j’étais sans recours livré à la voix qui parlait là.

 

Comme la sonnerie intrusive, la voix de l’autre nous ordonne : « Atchitecte-fantôme! Sors et fais-moi face ». Cette altérité vocale nous attire et nous commande d’exister au monde avec tout notre corps.


11.

"Elles se disent : « Nous sommes les faces de l'architecture ».

La première face dit : « Ô toi qui façonne, je t'attendais ».

La deuxième face dit : « Ô toi qui remplis le vide, je t'attendais ».

La troisième face dit : « Ô toi qui relie, je t'attendais ».

La quatrième face dit : « Ô fantôme, je t'attendais ».

L'architecte-fantôme répond :

« Je suis architecte. Je façonne l'espace, je relie l'esprit et l'architecture. Mais je ne suis pas un fantôme ».



Les quatre faces parlent d'une seule voix : « Écoutez nos voix, s'il vous plaît ».

La première face dit : « Ne restez pas seulement un façonneur, mais devenez un empileur ».

La deuxième face dit : « Ne restez pas seulement un remplisseur de vides, mais devenez un homme volant dans l’infini ».

La troisième face dit : « Ne restez pas seulement un connecteur, mais devenez quelqu'un qui représente ». La quatrième face dit : « Ne restez pas un fantôme, mais devenez un architecte ».



L'architecte-fantôme répond : « Je le répète, je ne suis pas un fantôme. Je suis un esprit qui connaît les origines, arkhès, et qui crée des espaces en ajustant le monde ».

  

Les quatre faces parlent ensemble : « Nous savons à quel point vous êtes précieux pour nous. Vous êtes le seul qui peut nous aider ici et maintenant. »


11. L’ARCHITECTE

 

Ce sont les quatre faces de la villa Savoye qui parlent. L'apparition de la nature réelle crée une fissure dans la rationalité, à travers laquelle les faces prennent la parole. Les quatre voix commentent l'architecture et l’architecte. La première face définit l’architecture, selon l’étymologie grecque, comme l’art, tekne, Τέχνη, d’un maître assembleur, tekton, τέκτων, qui connaît les principes fondamentaux, arkhè, ἀρχή. La deuxième face parle de l’intérieur de l’architecture, du creux. Elle dit que l'architecture est un moyen d'atteindre une fin extérieure, et que l' « extériorité de cette fin imprègne l'intérieur de l'architecture » (Hegel, s. d., p.35). Pour l'architecture moderne, ce creux est l'espace. Le troisième visage dit que l'architecture est une image de l'ordre social. L'architecture commence par dire ce qu'est la société : l’architecture « prend la société au piège de l’image qu’elle lui tend, elle la fige dans l’image spéculaire qu’elle lui renvoie » (Hollier, 1971, p.93). L’architecture capture la société et la transforme sous forme d’un monde de « habiter ». L'architecture est un dispositif qui « donne une forme qui voile l'inachèvement » (Hollier, 1971, p.99) qui est imprégné dans la société à travers une forme systématique. L'architecture moderne, en tant que dispositif, représente la rationalité moderne. L'architecture rationaliste capture la nature sous la forme d’un urbain idéal et le monde sous la forme d'un espace fonctionnel.

 

Il n'est donc pas étonnant que la quatrième face appelle l'architecte-fantôme un fantôme. Tout comme un écrivain fantôme produit ses écrits comme s'il s'agissait de l'idée de quelqu'un d'autre, l’architecte-fantôme produit son architecture comme s’il s’agissait de l’idéologie sociale. Cependant, l'architecte-fantôme se revendique architecte et non fantôme, car il est parfois fier d'être le représentant d'une idéologie sociale. L'architecte-fantôme ne sait pas encore que l'architecture est un dispositif pour capter la société.

 

Néanmoins, seul l'architecte-fantôme peut sauver cette architecture, car il n'est pas un commendatore de l'architecture moderne. Selon Denis Hollier (1989/1922, p. iv), Georges Bataille dénonce l'architecture comme un gardien de prison : sa complicité avec les hiérarchies autoritaires. L'architecture est le surmoi autorisé de la société. L’architecte-fantôme ne détient pas d’autorité contrairement à l’architecture moderne. Il n’est qu’un visiteur. En tant que l’autre dans l’architecture, il peut peut-être sauver cette villa, cette architecture.


12.

L'architecte-fantôme répond : « Je ne suis qu'un visiteur de cet endroit. Comment puis-je vous aider ? »

La première face dit : « Nous ne sommes que des faces. Nous n'avons ni tête ni corps. »

La deuxième face dit : « Nous ne sommes que des images et des textes. Nous pouvons montrer notre visage et parler quelques mots lorsque le corbeau est absent. »

La troisième face dit : « Nous sommes remplies de vide et souffrons énormément. »

La quatrième face dit : « Nous ne pouvons pas expulser cet esprit fantomatique depuis cent ans. »


12. L’ENVELOPPE ARCHITECTURALE

 

Si l’architecture est le gardien de prison, la façade, la face extérieure de l’architecture, est comme l’uniforme de ce gardien. Avant l’ère moderne, la façade en tant qu’apparence extérieure représentait la hiérarchie autoritaire de la société. On voit l’autorité de la théocratie sur la façade d’une cathédrale, et l’autorité de la monarchie sur la façade d’un palais. Dès que l’on a vu ces édifices, on a su pour quelle raison ils avaient été construits. Les uniformes nous indiquent si la personne qui les porte est un soldat, un prêtre ou un pompier. Les façades architecturales, en tant qu’uniformes, nous envoient des messages sur leur identité, et ces messages sont visuels. Les messages visuels nous parlent à travers la composition architecturale et la décoration artistique. La façade en tant qu’uniforme représente l’autorité sociale dans le monde par la rhétorique visuelle.

 

La façade de l’architecture moderne ne parle pas, cette architecture n’a pas de voix, car ce qu’elle révèle, c’est l’autorité de la rationalité moderne. Selon Le Corbusier, cette rationalité est le souffle bien réglé, l’esprit rationnel. Cet esprit nouveau est transparent. Il est naturel qu’il n’y ait pas de rhétorique visuelle dans l’architecture moderne qui représente ce qui est transparent. Et cet esprit doit être bien ajusté. C’est parce que le revêtement transparent qui enveloppe l’esprit n’éclate pas. La bonne tenue de cette membrane extérieure est l’aspect du fonctionnalisme architectural de l’esprit rationnel. L’esprit rationnel exploite fonctionnellement le vide qui est l’intérieur du bâtiment. Ainsi, l’esprit nouveau de la modernité habite rationnellement dans l’espace : « La modénature [de l’architecture] est une pure création de l’esprit » (Le Corbusier, 1923. p. 163)

 

L’esprit n’a pas de corps. L’esprit moderne nie le corps. Un esprit sans désirs suintants du corps est rationnel, c’est pur. En architecture, ce pur esprit nouveau est transparent. C’est donc comme un fantôme, une apparition invisible et silencieuse qui ne peut pas annoncer directement sa présence ici et maintenant. Si nous percevons une présence de cette existence invisible et silencieuse, c’est uniquement par le biais d’hallucinations.

 

L’autorité de la rationalité moderne se dévoile invisiblement en architecture grâce à la transparence de l’enveloppe architecturale : ce n’est pas un garde en uniforme, qui se tient devant nous. On ne sait pas s’il est là ou pas parce que ce gardien ne se manifeste pas visuellement. Ce geôlier-fantôme nous fait penser que nous sommes toujours surveillés. L’esprit, avec son enveloppe transparente, est comme un fantôme sous un voile qui erre autour de nous.

 

Les faces de la villa Savoye sont ici le voile de l’architecture moderne. Ce voile dévoile de manière transparente l’architecture sur la scène du monde. L’extérieur de l’architecture moderne comme le voile fantomatique n’envoie que des messages sans s’exprimer à voix haute. Son extérieur nous montre ce qu’il y a à l’intérieur de l’architecture, mais l’extérieur ne nous permet pas de savoir quel est ce contenu. Parce que son contenu, l’esprit rationnel, ne peut se manifester sous aucune forme ; il n’a pas la capacité de se chosifier. L’architecture moderne nous dit qu’il y a un bâtiment ici, mais pas à quoi il sert : ici, on a un bâtiment blanc sur les pilotis, mais on ne peut pas dire s’il s’agit d’une maison de ville, d’une ferme ou d’une galerie dans le centre-ville. On ne peut pas dire au premier coup d’œil si la villa Savoye est une maison ou un immeuble de bureaux. L’apparence extérieure de l’architecture moderne nous donne un message visuel, mais elle ne nous parle pas d’une voix : l’architecture moderne n’est pas une chose, Ding.


13.

L'architecte-fantôme répond : « Pauvres faces ! Comment puis-je vous aider en tant qu’étranger ? » Les quatre faces parlent ensemble : « Voilez ces fenêtres. Cachez ces vitres. À cause de cette transparence, nous ne pouvons rien évacuer. » L'architecte-fantôme hésite, réfléchit longtemps et dit: « Ô architecture radieuse. Il n'est pas facile d'exister avec la pureté immaculée de votre blancheur. Cent ans de constipation ! »


13. LA CONSTIPATION ARCHITECTURALE

 

L'Esprit nouveau habite l’intérieur de l'architecture moderne. C'est ce que nous appelons l'espace architectural, mais « l’espace architectural n’est pas, en effet, toujours, immédiatement lisible » (Godin et Mühlethaler, 2005, p. 17). L'usage philosophique de l'espace en tant que terme technique en architecture est basé sur l'espace moderniste déifié. D’après Markus Schroer (2006, p. 37-38), l'espace en modernisme a commencé avec l'espace de Newton. L'espace de la physique moderne a été absolutisé lorsqu'il a été adopté par la philosophie rationaliste, un processus que la sociologie moderne de l'espace considère comme une déification. L'espace absolu de Newton, qui s'oppose à l’espace relatif dans lequel on reconnait les objets à partir de la relation de leurs positions, est conceptuellement le conteneur réceptaculaire. En effet, l'espace newtonien est un champ qui accueille les objets et leur permet de se positionner et se déplacer de manière indépendante. 

 

L'espace en tant que conteneur-récepteur a été accepté de manière critique dans l'architecture moderne. La raison pour laquelle on dit critique est que l'espace architectural n'accueille pas des choses comme l'espace newtonien. L'espace architectural est défini par le fait d'être entouré des choses. Cet espace cloisonné accueille des objets immatériels qui ne sont pas des choses. Il met des a-choses à son intérieur.

 

L'architecture est l'art de créer un espace pour accueillir et abriter quelque chose. Au 19e siècle, dans une conférence sur la philosophie de l'art, Schelling (1859, cité dans Löw, 2017) définit l'architecture comme « l'art de l'espace, Raumkust », et « August Schmarsow (1894) soutenait que l'architecture est le design de l'espace ». Il existe de nombreux arguments sur ce que l'espace architectural moderne contient. On souligne que l'architecture rationaliste du début du 20e siècle accueillit la fonction, qui est un concept réductionniste du comportement humain au sens étroit et de l'expérience humaine au sens large.

 

Reprenons les paroles de Le Corbusier (1923/1995. p. 147) : « Un édifice est comme une bulle de savon. Cette bulle est parfaite et harmonieuse si le souffle est bien réparti, bien réglé de l’intérieur ». Dans l'architecture comme conteneur-récepteur, la bulle de savon est l'enveloppe. Il y a l’esprit nouveau en elle. La rationalité moderne est embrassée dans l'architecture. Une respiration bien contrôlée de l'intérieur renvoie à l'aspect fonctionnaliste de l'idéologie moderne acceptée. Dans l'architecture comme dans le conteneur-récepteur, la bulle de savon est l'enveloppe extérieure ; à l'intérieur se trouve l'esprit nouveau. La raison, sous forme de la rationalité moderne, est contenue en dedans de l'architecture. Le souffle bien réparti et réglé à l'intérieur désigne l'aspect fonctionnaliste de l'idéologie moderniste. Alors, où est la place de l'espace architectural dans cette analogie de la bulle de savon ? Nous voyons généralement l'espace architectural qui est entouré ou enfermé par une enveloppe. Cependant, si on relit l'analogie de la bulle de savon, ce qui est entouré, c’est l’esprit nouveau, représenté par la fonction, la vie moderne ou l’idéologie rationaliste par exemple, pas l'espace. C'est l'enveloppe qui projette l’esprit nouveau vers l'extérieur. En d'autres termes, c'est l'enveloppe qui reçoit l'esprit nouveau et le projette immédiatement vers l'extérieur.

 

En raison de cette projection immédiate de transparence, nous oublions que l’enveloppe contient l'esprit. Si l'on accepte l'hypothèse qu'il s'agit d'un espace entouré qui reçoit l'esprit nouveau, par exemple la fonction qui n’est pas la chose, on peut considérer l'enveloppe transparente, plus précisément, la surface intérieure de l'enveloppe, qui accueille et contient cet esprit nouveau comme un équivalent de l’espace architectural. Autrement dit, l'espace est devenu l’enveloppe transparente.

 

L'enveloppe de l'architecture moderne doit être une traduction fidèle de l'intérieur. Dans la conception architecturale, l'intérieur d'un bâtiment est constitué de plans. L'extérieur de l'architecture moderne doit authentiquement se traduire à l'intérieur. Dans la conception architecturale, l'intérieur d'un bâtiment est composé de plans : « Le plan est le générateur. Sans plan, il y a désordre, arbitraire » (Le Corbusier, 1923/1995 p. xviii). Lorsqu'un plan est traduit en trois dimensions, il devient un volume, et le volume est enveloppé de faces, lesquelles sont des enveloppes spatiales. Une façade composée d’une enveloppe doit être une traduction authentique d'un plan, comme le veut l'architecture moderne. L'architecture moderne doit être complétée par les façades transparentes qui exposent son intérieur. Cependant, ces façades n’étaient pas assez fonctionnelles pour être une façade honnête.

 

L’architecture occidentale est partie de l’hypothèse humaniste selon laquelle il est souhaitable d’établir un lien moral entre les deux, le dehors laissant filtrer sur le monde du dedans certaines révélations que le dedans va corroborer. La façade « honnête » parle des activités qu’elle dissimule. Mais mathématiquement, si le volume intérieur des objets tridimensionnels augmente selon une progression au cube, l’enveloppe qui les renferme n’augmente que selon une progression au carré ; le décalage entre le volume de l’activité intérieure et la surface extérieure correspondante ne cesse donc de croître (Koolhaas, 2002, p. 100).

 

Par conséquent, l'élévation transparente, qui devrait honnêtement révéler de la manière excessive son plan, est condamnée à révéler son intérieur qui est le volume.

 

Les faces de la villa Savoye se plaignent de la douleur causée par cette surprojection excessive. Elles souffrent de l'immatérialité de l'esprit nouveau entassé dans l'architecture, elles souffrent aussi de la fonctionnalité qui contrôle le plan générateur. De plus, elles souffrent de l'honnêteté surexposée de l'enveloppe transparente. Malgré cette projection douloureuse, l'architecture moderne ne nous parle pas de ce que représente ce bâtiment ; l'architecture moderne nous donne simplement le message visuel « ceci est un bâtiment », architectural. Nous ne pouvons pas transmettre nos pensées uniquement par le regard. L'architecture moderne envoie de nombreux messages, mais ne parle de rien, elle forme des nuées de contenu intérieur en son sein. L'architecture moderne souffre de constipation architecturale.


14.

L'architecte-fantôme tend la main pour toucher chaque face une fois. « Je dégagerai la transparence à l'intérieur et dresserai des obstacles. C'est un jeu lugubre. »

 

L'architecte-fantôme entre à l'intérieur. Il enlève tous ses vêtements et s'accroupit. L'architecte-fantôme se concentre pour évacuer tout son corps. L'architecte-fantôme déverse désespérément toutes ses sécrétions, vomissures et excréments par tous ses orifices. L'architecte fantôme évacue tout cela complètement. Cette excrétion fait sursauter l’étant qui habite dedans. L'esprit nouveau effrayé est incapable de respirer. Lorsque l'intérieur de la villa est presque rempli de ces visqueux, le corps de l'architecte-fantôme se fond et se confond avec les visqueux informes. Enfin, l’esprit nouveau renonce á repartir et à régler son souffle.


La transparence de l'architecture pure se perd. Ensuite, des trous ridés commencent à apparaître dans toute la villa.

La villa dit : « Je suis sur le point de tout laisser sortir. Architecte-fantôme! Voilà, maintenant j'ai des anus. » Les visqueux s'écoulent de l'anus de la villa.

La villa s'écrie. : « C'est la catharsis que je n'ai pas ressentie depuis cent ans. »

Le mucus visqueux s'écoule par le haut, le bas et les côtés de la villa. L'intérieur et l'extérieur de la villa deviennent impurs. Les murs blancs, même les fenêtres longues, sont maintenant opaques.


14. L’HÉTÉROLOGIE

 

En compatissant à la souffrance des faces, enveloppes architecturales, l'architecte-fantôme propose un jeu lugubre, pour enlever sa transparence. Un tableau de Salvador Dali a pour titre Le jeu lugubre. On est « choqué par un détail scatologique de ce tableau : dans un coin, on voyait de dos un personnage en caleçon d’où sortait de la merde lui coulant le long des jambes » (Hollier, 1971, p. 201). L'architecte-fantôme tente de résoudre la constipation architecturale de manière hétérologique. Il s'agit d'une solution scatologique de type Georges Bataille : selon Denis Hollier (1971, p. 187), « il faut faire chier la raison. […] ce sont les seuls qui soient choquants ». Il s'agit d'une stratégie visant à perturber la structure de la raison en y introduisant ce qui est hétérologique et hérétique. La méthode scatologique de l'architecte-fantôme suggère ce qui est informe (Bois et Krauss, 1996, p. 15) les plus incompatibles avec le terme de l’architecture. Il oppose sale à pur, sombre à radieux, obstacle à transparent, sans valeur à précieux, et visqueux informe à formalité constructive. C’e sont des « aeidès, des choses ridicules, sans importance et sans valeur » (Hollier, 1971, p. 188).

 

Le coup porté par l'architecte-fantôme à la villa Savoye n'est pas différent du coup porté par Georges Bataille à la science et à la philosophie. L’architecture moderne « est effrayée par l’informe, puis surmonte cette répulsion pour se réfugier dans le domaine propre des Idées-Formes. » et elle « n’a plus qu’à intervenir pour accomplir sa fonction : s’attaquer aux déchets les récupérer, leur donner forme. Éboueur de la raison. Qu’il faut faire chier. Par quelques coups bas dont elle n’a pas idée » (Hollier, 1971, p. 192).  Nous avons vu un monde homogène sans extérieur, créé par l’architecture radieuse, le village radieux et la ville radieuse. Et l'architecture moderne accumule en son sein des amas de contenus non architecturaux. Elle doit soulager cette constipation architecturale. Mais le problème est que son enveloppe transparente en est incapable. Pire, comme il n'y a pas d'extérieur à l'architecture, l'excrétion du dedans vers le dehors est impossible. Pour excréter, l'architecte-fantôme doit jeter de la merde informe à l'architecture moderne, en décomposant le contenu non architectural dans l'architecture. Il doit créer une fosse excrétrice dans l'architecture, créant ainsi une fissure pour que l'architecture puisse sortir de l’architecture moderne. Donc, il est nécessaire d’architecturer le bâtiment architectural. Ce sera possible avec quelque chose que l'architecture moderne ne peut imaginer.


15.

Une odeur nauséabonde réveille l'architecte-fantôme. Il retire sa tête de l'image. L'architecte-fantôme fait trois pas en arrière et fait face à l'image. L'image ne brille plus et le texte « Nous sommes au-dessus de quelque chose dans l'image » a disparu. Mais les contours de la villa sont là, comme une image rémanente. « Quel terrible cauchemar! Où étais-je ? » dit l'architecte-fantôme. Il demande aux peintures sur les murs : « Quel est le nom de cette chose à laquelle je fais face ? » Les peintures répondent : « L'image s'appelait la face de l'architecture, mais maintenant nous ne savons pas non plus comment l’appeler. »



L'architecte-fantôme regarde l'image sombre et dit : « La face de l'architecture ! N'y a-t-il pas de place pour votre salut au dos de la chose ? » L'architecte-fantôme reste un long moment avec l'image derrière lui, regardant au loin. Il n'y a rien d'autre que des ténèbres profondes et infinies dans une mer immense sans fin. L'architecte-fantôme regarde vers le bas de la tour.  L'île bouge. Il s'écrie : « Nous sommes face à quelque chose, ici et maintenant ! » L'architecte-fantôme s'accroupit, se relève et s'envole de la tour. L'architecte fantôme se jette dans l'obscurité infinie et profonde.


15. L’INCARNATION DE L’ARCHITECTURE

 

L’enveloppe transparente de la villa radieuse, manifestation de l'esprit nouveau, est désormais impure. La villa, qui a perdu sa transparence à cause de ce coup scatologique, dit qu'il a maintenant un corps. Mais en réalité, tout ce qu’elle a obtenu, c'est l'opacité. Il s'agit peut-être simplement de mettre une redingote de la chose au lieu de l’enveloppe transparente. Avoir le corps de l'architecture, l’incarnation de l'architecture, un tel coup ne suffit pas. C'est exact. Maintenant, c'est juste que la transparence a été supprimée. L’architecte-fantôme devra retirer l’enveloppe, enlever l'espace et combler le vide à l'avenir. L’architecte-fantôme devra éventuellement dénier l’architecture à la fin.

 

L'architecte-fantôme enlève son visage de l'écran et s'échappe de la situation de « Nous sommes au-dessus de quelque chose dans l'image ». L'image ne brille plus. Lorsque l'architecte fantôme peut le regarder de loin, il commence à prendre l'aspect d'un objet. La chosification de l'architecture, l’architecte-fantôme appelle cette tentative le salut. Cependant, ce n'est pas une quiétude de rencontrer l’architecte-fantôme qui pense avoir achevé le salut. Il se dresse toujours sur l'angoisse de l’île flottant dans une obscurité infinie. Cependant, l'architecte-fantôme affirme cette inquiétante étrangeté. Cela vient de la présence à laquelle il fait face au sommet de la tour, le bâtiment architecturé.

 

L’architecte-fantôme saute de la tour et se jette dans l'infini. Il saute simultanément dans l’abîme. L'architecte fantôme se jette dans le monde de sa propre volonté.




RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

 

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